-
Quelques réflexions sur l’écriture
Quelques réflexions en vrac, la plupart tirées de Feu de tout bois.
Je suis persuadée qu’un livre naît de presque rien. Il se développe souvent à partir de quelque chose d’infime qui pourrait se comparer à ces fils de la Vierge qui flottent en travers de notre chemin et que nous révèle un rayon de soleil ou un frôlement sur notre visage : nous ne voyons ni leur début ni leur fin, ils semblent fragiles et en même temps indestructibles ; ou encore à un fil d’une couleur particulière qui courrait dans la trame de notre existence quotidienne, tantôt caché, tantôt visible, mais jamais rompu. Qu’est-ce donc qu’écrire un roman sinon retisser à sa manière tous ces fils qui flottent dans notre imagination, échappés de quelque ancienne tapisserie restée inachevée ?
J’ai remarqué que le nœud d’un récit peut se faire du rapprochement de deux idées tout à fait indépendantes. Alors le récit prend, comme on dit d’une mayonnaise.
Il y a un temps destructeur, on ne le connaît que trop celui-là, qui fait peur et travaille contre nous à défaire ce que nous sommes, mais je sens aussi, presque physiquement, l’existence d’un autre temps, un temps bâtisseur, un temps qui travaille pour moi, avec moi, à mon insu, nuit et jour. Un temps qui fait mûrir. Je le sens qui marche à mon côté. Je ne le sens pas toujours mais quand je le sens, je ne doute pas de son œuvre.
C’est justement le travail de la fiction de cerner les impressions, les préciser, les développer, les compléter, car elles sont fragmentaires et même se réduisent souvent à presque rien. C’est un peu un travail de marouflage : offrir – pour sa conservation – à un vestige fragile du passé la solidité d’un support fiable qui permette de révéler sa beauté, invisible jusque-là.
Au fond on pourrait passer sa vie entière à balancer ainsi d’une possibilité à l’autre sans donner corps à rien, juste une quête et une inquiétude qui vous point à chaque instant sans qu’on en sache la raison et qui vous pousse à chercher sans trouver ce qui n’a ni lieu ni forme – cette quête ayant justement pour objet de lui donner lieu, nom et forme… Et l’idée qu’il n’y a aucune raison que cela cesse un jour et qu’on continuera jusqu’au bout à chercher ce qu’on sait qu’on ne trouvera jamais, cette idée, curieusement, au lieu d’être désespérante est joyeuse et fouette l’esprit comme un grand vent par une fenêtre ouverte.
Il faut que la fiction reste libre, mouvante, jamais stabilisée – même si certains lecteurs risquent de trouver ça inconfortable.
Je constate une fois de plus ceci : on écrit souvent quelque chose sans savoir précisément à quoi cela nous servira. On a l’impression que c’est gratuit, que cela ne se rattache à rien. On se trompe. Cela sert presque toujours. Tout se rattache à tout.
Entamer l’écriture d’un roman donne le trac. On risque gros. Je relis La Route des Flandres. C’est le genre d’émotion que j’aimerais que mes livres suscitent : on retient sa respiration, pris d’un frisson, ce que Tourgueniev désignait par « cet engourdissement, ce froid et cette douce horreur de l’enthousiasme qui saisissent instantanément l’âme quand la beauté fait soudain irruption». Car il y a une part d’horreur dans tout cela
Il est toujours un peu déplaisant de devoir inventer des noms de personnages. La recherche d’un nom de lieu a un sens parce qu’il renferme des connotations, en revanche cela n’a aucun intérêt qu’un personnage s’appelle Marco ou Karl, Mona ou Isabelle. J’aimerais pouvoir m’en passer, mais le lecteur n’y comprendrait plus rien.
Bizarre, ces sautes d’humeur à propos du livre qu’on est en train d’écrire. Avant-hier j’avais l’impression très nette d’avoir en main quelque chose de solide sur quoi bâtir la suite, et hier la sensation de patauger et d’en être encore à avant le commencement. Quand est-ce que j’avais raison : hier ou avant-hier ? Sans doute que l’un et l’autre jour j’avais raison et tort, puisque écrire un livre c’est faire du solide avec rien.
C’est l’écriture qui doit porter un livre à bout de bras, pas une histoire. Il faut que le livre semble à la fois inépuisable et inachevé, et que l’écriture soit inattaquable. Sans elle tout s’effondre.
On ne peut pas, ou plus, écrire par exemple : «Il pouvait enfin s’abandonner à la joie de quitter Obronna», ou bien: «Il ne savait pas ce qu’elle avait voulu dire, mais il craignait instinctivement que…». Vous me direz qu’on lit ça partout et que ça n’a l’air de poser de problèmes à personne. À moi, si.
Il est intéressant de constater que plus c’est difficile à exprimer, plus cela a de chances d’être bon, à la fin. Il ne faut pas se dire que c’est trop compliqué, trop difficile, trop fragile, qu’il vaudrait mieux laisser tomber ; que cette infime impression dont on n’est même pas sûr, ce tropisme, ne mérite pas qu’on se donne tant de mal pour l’exprimer et qu’on pourrait y renoncer tout simplement sans que l’ensemble y perde. C’est faux. C’est justement cela qu’il faut écrire. Ne pas rester à la surface, ne pas chercher à se faire comprendre avant tout, ne pas simplifier, ne pas aller au plus court. Quand on écrit un roman on se tourne vers des choses troubles qu’il s’agit d’explorer à l’aide de mots. Peut-être dans ces grandes profondeurs rencontrera-t-on quelques lecteurs qui se seront aventurés jusque-là. Ne rien expliquer mais donner des frissons : on a cru sentir bouger quelqu’un derrière le rideau. C’est cette impression-là qu’on devrait retirer d’un roman.
J’ai constaté une fois de plus que ce qui paraît être au premier abord le plus trouble et le plus difficile à exprimer aboutit souvent, une fois qu’on a réussi à l’extirper de l’ombre et à le mettre en mots, aux passages les plus satisfaisants
Un livre, au début, c’est vraiment comme un cadavre, ça pèse des tonnes. On a l’impression que c’est folie de vouloir le ressusciter. Mais il ne faut pas se poser de questions, il faut le travailler, le tourner et le retourner dans tous les sens, une espèce de respiration artificielle, avec l’énergie du désespoir. Jusqu’à ce qu’on sente que le livre (qui est encore loin d’en être un) répond. Il se met à réagir. Et là, ce n’est pas le moment de le lâcher. Il faut le harceler et tendre l’oreille à chacune de ses réactions. Au bout d’un temps plus ou moins long il commence à vivre. J’en suis à ce moment où le livre se met à réagir, sinon à fonctionner vraiment (mais je n’en suis pas loin). Je sais que c’est à partir de ce moment-là (qui tourne autour de la cinquantième page) qu’un livre démarre et que son écriture va en s’accélérant, de manière prodigieuse vers la fin. Ensuite, une fois franchie cette étape – l’épreuve éliminatoire pourrait-on dire –, une grande part du travail est un travail de surveillance. Il faut surveiller chaque réaction du livre, comme une sauce, pour qu’il ne déborde pas, qu’il reste à la bonne température, qu’il prenne et ne tourne pas. C’est fascinant, et le plaisir vient aussi. Parce qu’il faut l’avouer, on n’en a guère eu jusque-là.
J’ai noté dans Après-midi d’un écrivain de Peter Handke cette définition de l’œuvre : «Quelque chose où le matériau n’était presque rien et la disposition presque tout; quelque chose qui au repos restait en mouvement, sans rien pour le faire tourner, où tous les éléments se maintenaient eux-mêmes en suspens; qui était ouvert, accessible à chacun et inusable. » Et aussi : «Ce qui, à l’occasion, disait tout par éclats, ne disait plus rien quand c’était un ensemble organisé. »
Lire de la littérature exige du lecteur une participation active et désintéressée. Ce n’est pas à la portée de tout le monde.
Des gens me demandent « sur » quoi j’écris, et disent qu’il faut raconter quelque chose à quelqu’un, alors que l’affaire est entendue : on ne dit rien de particulier et on ne s’adresse à personne. Cela posé, on respire mieux et on commence à s’avancer, bravement, vers le livre à écrire.
Parler de soi ne va pas de soi. On risque d’y perdre cette distance, ce détachement qui font le « style ».
Dès qu’on écrit, des portes s’ouvrent sur des galeries, des labyrinthes, des palais des miroirs.
Encore une fois se vérifie ce que j’ai constaté précédemment pour l’écriture d’autres livres : on a des idées isolées, des fils épars, et on se demande ce qu’on va faire de ce ramassis d’éléments hétéroclites sans lien apparent entre eux. Mais il y a toujours un lien entre eux, et ce lien est à chercher en soi-même.
Hier j’ai noté cette citation de Maurice Estève : « Il me suffit de commencer : deux points, une certaine courbe, une certaine spirale et la composition s’engage entre ce qui va naître sur la toile et mon activité de peintre. Voilà comment cela se passe. Évidemment, plus je nourris la toile, plus elle prend de l’autorité. » Gombrowicz ne dit pas autre chose. Et Claude Simon.
Toujours distordre à temps ce qui commencerait à couler trop droit.
Comme si la littérature avait pour fonction de réconforter, comme si on demandait à un livre d’offrir je ne sais quel antidote à la dureté de la vie, alors que l’antidote c’est justement d’écrire cette dureté, de l’enfermer dans la cage des mots pour qu’elle s’y tienne tranquille.
Je préfère les personnages débarrassés des parents, de la sœur, des voisins, abandonnés dans un monde qui ne les connaît pas, un monde inconnu d’eux, des personnages qui restent immobiles sous la voûte du ciel, à grelotter d’angoisse en pensant à la mort.
Il faut être le plus elliptique possible en restant le plus clair possible, c’est ce point-là, très ténu qu’il faut viser, entre ombre et clarté.
Ce genre de question de ponctuation qui peut me poursuivre pendant des jours : « le bas de sa robe à fleurs passée usée balaie le sol sableux ». Je n’ai pas mis de virgule parce que l’absence de virgule permet de faire voir le balancement du tissu de la robe longue, une robe de pauvresse boiteuse de surcroît (on entend presque le léger frottement sur le sol), il y a un rythme. Si j’écris : « le bas de sa robe à fleurs, passée, usée, balaie le sol sableux », on perd ça au profit de renseignements précis sur cette robe, ce dont on n’a que faire, c’est l’impression qui se dégage qui est importante. Mais je vois déjà la correctrice me rajouter des virgules que je me suis justement refusée à mettre.
Toujours ces deux tentations contradictoires d’un récit concentré au maximum, ramassé sur lui-même, pur, auquel rien ne pourrait être retranché sans mettre en cause l’ensemble et d’un livre foisonnant, bourgeonnant, tout en ramifications et digressions.
-
À propos de l’écriture du « Fil espagnol »
(texte de présentation pour France Inter, France Info, France Culture, Radio bleue et Télérama)
Je suis persuadée qu’un livre naît de presque rien. Il se développe souvent à partir de quelque chose d’infime qui pourrait se comparer à ces fils de la Vierge qui flottent en travers de notre chemin et que nous révèle un rayon de soleil ou un frôlement sur notre visage : nous ne voyons ni leur début ni leur fin, ils semblent fragiles et en même temps indestructibles ; ou encore à un fil d’une couleur particulière qui courrait dans la trame de notre existence quotidienne, tantôt caché, tantôt visible, mais jamais rompu. Qu’est-ce donc qu’écrire un roman sinon retisser à sa manière tous ces fils qui flottent dans notre imagination, échappés de quelque ancienne tapisserie restée inachevée ?
Dans ce livre, qui est mon troisième roman, j’ai suivi la trace en moi d’un « fil espagnol » qui m’a menée dans d’oniriques Caraïbes où des hommes en costume blanc prennent le frais sur des terrasses baignées de vent bleu, à la lisière océane d’une terre couleur de sang. Mais j’ai suivi également d’autres pistes qui m’ont entraînée dans d’autres pas où se sont tissées d’autres histoires, et toutes ces histoires se croisent et se font échos souvent, comme dans un jeu de miroirs.
-
Les adieux à Bagdad
23 mai 2006, à Amman
Hier nous avons passé notre dernière soirée dans le jardin, tous les deux – et quelques hommes discrets ici ou là, bien sûr, puisque nous ne sommes jamais seuls. J’avais encore fait quelques adieux. À Hosni le jardinier. Aux gardes, ceux de la journée puis ceux du soir. Le pauvre A**, d’habitude si prompt à rire, pleurait à chaudes larmes. Khalil, pas loin de pleurer non plus. Nous avons passé une belle soirée, difficile de se mettre dans la tête que c’était la dernière, les petits chats batifolant dans l’herbe et se dire qu’on ne les verra pas grandir, regarder comme d’habitude les lézards sur les murs, les hélicoptères, ces drôles d’oiseaux auxquels on s’était habitué, les chauves-souris qui tournent au-dessus du jardin et les moustiques qui attaquent, ponctuels, tous les soirs à heure fixe. Ce matin à quatre heures j’étais réveillée. Vers cinq heures, quand le jour a commencé à poindre, je me suis levée et j’ai fait le tour de la maison, essayant de retrouver mes impressions du tout début, me disant Cela fait deux ans et huit mois, et j’avais beau tourner cette phrase dans ma tête elle restait une combinaison incompréhensible de mots vides de sens. La chambre où nous avons dormi au début. J’ai regardé par la fenêtre, je suis entrée dans le débarras à côté, où le ventilateur brasse l’air chaud, paresseusement, d’un mouvement lent et comme perpétuel. J’ai bu mon café assise dans ce fauteuil acheté dans une brocante suisse et que nous avions emporté parce qu’il était confortable et surtout parce que notre chat avait l’habitude de s’y faire les griffes, nous pensions alors prendre ce matou à Bagdad et se rappeler cela maintenant montre à quel point nous étions loin d’imaginer ce qui allait suivre, ce que nous allions connaître (j’allais écrire « ici », mais non, je suis à Amman : « Bagdad » et « ici » ne seront pour moi plus jamais synonymes), et ce fauteuil que nous avions apporté pour que notre chat s’y fasse les griffes, parce qu’il n’avait pas de valeur, pour cette même raison (son absence de valeur) nous allions l’abandonner à Bagdad puisqu’il n’était plus question maintenant de faire venir aucun de nos effets par la route : piano, livres, meubles, tout partirait par avion. Quand j’ai eu fini mon café je me suis levée, j’ai passé la tête dans la salle de bains que nous utilisions au début, celle où les robinets sont dorés, celle où je me trouvais quand j’ai entendu les déflagrations des bombes lancées contre le CICR et qui ont marqué le début du ramadan en 2003. Le cycle des saisons tourne, la sécheresse et l’humidité se succèdent : à nouveau les portes s’ouvrent toutes seules, alors qu’il y a peu on n’arrivait pas à les fermer. Le salon, moquette jonchée de chutes de cartons d’emballage. Le bureau de M., vide, propre, inhabité. Puis la journée a commencé tout de même, une journée que je n’allais pas mener à son terme, une journée dont je ne connaîtrais pas le soir, du moins le soir à Bagdad (en ce moment c’est le soir, cette heure dont je viens de parler, l’heure où à Bagdad les moustiques attaquent, mais je suis sur la terrasse de l’hôtel Hicham, j’entends d’une oreille la conversation paisible de monsieur Hicham avec deux vieux amis habitués à venir discuter le soir devant une bière servie dans de grandes chopes couvertes de buée comme j’en ai une moi-même à côté de ces feuilles où j’écris, vite et sans lever la plume, comme prise d’une boulimie d’écriture, une façon de me consoler), une journée commencée à Bagdad, un matin apparemment semblable aux autres mais dont le cours serait interrompu, comme tranché d’un coup, et tout cela m’évoquait si fort une sorte de mort, comme celle du condamné qu’on exécute à l’aube ou du malade qui ne résistera pas à cette journée-là, pas différente des autres mais venue après trop de journées déjà, si bien que c’est pendant cette journée-là qu’il meurt parce qu’il faut bien mourir, de même que notre séjour à Bagdad devait bien finir. Aram et Farida sont venus très tôt le matin pour me dire au revoir, Aram avait les yeux rouges, Farida pleurait. Selon la tradition arménienne elle a jeté de l’eau derrière nous quand la voiture a démarré, pour que je revienne saine et sauve – mais cette fois je ne reviendrais pas. Puis la route de l’aéroport, Bill au volant et Ralph à côté, tous les deux bardés de munitions, et je me disais que c’était tout de même bizarre cette impression que j’avais quand j’étais en voiture avec nos CPO, c’était une espèce de bonheur, oui je dis bien « bonheur », il faut appeler les choses par leur nom, que de me déplacer dans Bagdad avec cette insolente et chaude sensation d’être protégée, impression née de la confiance que j’ai en eux et aussi d’une sorte d’amitié au-delà de tout ce qui nous sépare, comme si c’était une chance d’être là, avec eux, dans cette ville effrayante. Et en écrivant cela j’ai bien conscience que cela peut paraître choquant, équivoque, douteux, et que le fait que je sois une femme et eux des hommes n’est sans doute pas étranger à l’affaire. Tous ces contrôles multiples, sur la route puis à l’aéroport, dans l’avion et encore en descendant d’avion à Amman, je ne les regretterai certes pas, ni les chiens qui viennent renifler les bagages, ni les fouilles. L’avion était à l’heure… mais en retard quand même pour finir, parce qu’il y avait un passager en trop. (Sur la Royal Jordanian, qui plus est avec un équipage exclusivement sud-africain (comme sur Airserv), on ne se serre pas pour faire une place à un passager excédentaire.) L’hôtesse (charmante avec son chignon de jeune fille sage et une petite mèche de duvet qui bouclait sur sa nuque) est passée dans l’allée, ne pouvant s’empêcher de rire : qui était volontaire pour descendre de l’appareil, reprendre ses bagages et attendre patiemment le prochain vol trois heures plus tard ? Tout le monde baissait le nez comme font les mauvais élèves qui ont peur d’être interrogés. Eh bien tout de même, il ne faut pas désespérer du genre humain : il s’est trouvé un jeune altruiste pour sortir. Enfin l’avion a démarré, il est allé rejoindre la piste. A pris son élan. A décollé. Et là, au moment où l’avion lancé à pleine vitesse s’est séparé du sol, moi qui n’avais jamais eu d’états d’âme au moment de quitter les endroits où j’avais vécu, quels qu’ils soient, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. L’avion est monté en spirale jusqu’à ce que je voie l’aéroport tout entier s’inscrire dans le hublot et alors, comme si c’était le signal qu’attendaient les pilotes, il s’est rétabli et a pris son vol en droite ligne.
-
Promenade un jour de congé
(Texte en annexe à Un jardin à Bagdad)
Ce texte a été écrit en septembre 2006 d’après mon journal, pour la revue belge Balises (à paraître en automne 2007). Il fait le récit d’une excursion dans la « zone verte » à Bagdad, un vendredi d’octobre 2004. Je venais de terminer Shrapnels, qui évoque la première année de mon séjour (d’octobre 2003 à septembre 2004). J’avais été tentée d’y ajouter un chapitre qui aurait décrit cette « promenade » dans un ancien palais de Saddam détruit par les bombardements américains, mais j’y avais renoncé parce que ce livre me paraissait terminé et complet tel qu’il était. D’autre part je m’étais fixé pour sujet une année à Bagdad, ni plus, ni moins, et je voulais m’y tenir.
Dans la zone verte la nervosité était tangible à cause des attentats de la veille, mais quand ils ont voulu entrer dans ce palais détruit qu’elle avait déjà remarqué derrière une façade en grande partie intacte, seul un militaire leur a demandé ce qu’ils venaient faire là. Il ne savait trop que penser de cette femme portant comme une bannière son appareil photo monté sur pied. Pour finir il ne leur a dit ni oui ni non mais, sans conviction, de faire vite. Ils ont décidé qu’ils prendraient tout leur temps.
Ils commencent par les « souterrains », juste un sous-sol en fait, le premier sous-sol seulement car le reste est inondé, et elle se demande combien d’étages il y a encore là-dessous. Le sol ouvert par endroits laisse voir des canalisations que l’eau recouvre. Un escalier descend à l’étage inférieur, ses marches disparaissent vite dans l’eau, une eau noire où elle plonge le faisceau de sa lampe de poche : de minuscules bestioles nagent là-dans. Elle ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y aurait pas par hasard, dans les profondeurs de ces sous-sols inondés, les corps de gens qui se seraient trouvés pris au piège, noyés pour finir. D’où peut bien venir toute cette eau ?
Ils longent des couloirs, ils passent devant des salles où il y a des générateurs, devant d’anciens bureaux pleins d’ordinateurs cassés, ils franchissent de grosses portes blindées. Il y a des compteurs électriques aux câbles sectionnés, des néons arrachés, des miroirs brisés dans des salles de bains. Il faut faire attention à ne pas glisser sur le carrelage mouillé. Une pomme de douche laisse couler de l’eau, depuis combien de temps, qui donc a pris là une douche pour la dernière fois ? Personne n’a fermé le robinet, depuis des mois peut-être cette douche continue à couler pour rien, inondant peu à peu tout autour. L’eau ruisselle, gouttant du plafond comme de la voûte d’une grotte, il flotte une odeur de cave. Ils découvrent une petite pièce où sont encore des fauteuils, une sorte de salon petit bourgeois, les coussins sont détrempés, le bois est tout gonflé d’humidité, la moquette gorgée d’eau comme une mousse où le pied s’enfonce. On entend goutter l’eau, ploc, ploc. Qui a pu s’asseoir dans les fauteuils de ce salon sans fenêtres ? Quelques fonctionnaires affairés à entretenir les rouages du régime et se reposant là, une fois terminée la besogne du jour ?
Ils prennent un autre couloir, il n’y a plus d’eau, ça sent la poussière. Elle a failli mettre le pied sur un rat mort, tout sec. Leurs torches électriques se reflètent dans un miroir à l’autre bout du couloir, faisant surgir d’autres visiteurs, leurs semblables égarés dans ces souterrains. Tout cela lui rappelle les livres qu’elle dévorait gamine, quatre enfants et un chien à qui il arrivait toutes sortes d’aventures. On marche sur du verre pilé. Il y a là un cabinet médical (c’est écrit sur la porte), toutes les vitrines ont été pulvérisées. Par terre traîne une paire de bottes faites dans une matière souple, orange, des bottes de protection contre les matières nocives, pense-t-elle. Des armoires métalliques évoquent un vestiaire de sportifs (« Vêtements propres », est-il écrit en arabe sur l’une de ces armoires). Il se dégage de cette pièce une sale impression, quelles étaient au juste les activités de ce « cabinet médical », elle trouve que ces bottes orange ont quelque chose d’inquiétant… Et pourquoi tout est-il cassé ? Par qui ? Par ceux qui sont entrés les premiers après les bombardements, s’attendant à tout et l’arme au poing, prêts à tirer sur tout ce qui bouge ? Ou bien par ceux qui tenaient la place et qui ont peut-être préféré détruire eux-mêmes ce qu’ils pouvaient, pour ne laisser aux nouveaux arrivants que des compteurs électriques aux câbles sectionnés, des néons arrachés, des miroirs brisés ? À moins que ce ne soit l’œuvre de pillards ?
À l’entrée d’une pièce, le carrelage est maculé d’une grande tache rouge. Qui était l’homme qui a saigné là ? Et pourquoi ? Où se trouve-t-il maintenant ? Est-il vivant ou mort ?
Et encore des bureaux et des bureaux, moins saccagés que le reste et où l’on voit parfois, sur un coin de table ou par terre, récentes, une bouteille d’eau entamée ou une cannette de bière trahissant la présence des nouveaux venus.
Ensuite ils sont remontés à l’intérieur du palais, l’homme qui les guidait semblait connaître les lieux par cœur, ils ont débouché au milieu d’un édifice en ruine de la taille d’une cathédrale, du toit il ne restait plus que l’armature métallique, poutrelles tordues auxquelles tenaient encore, branlants au-dessus de leur tête, des morceaux de maçonnerie, c’était comme un immense chantier de démolition, révélant sous la prétention de la décoration luxueuse, orientale (fragments de porte en bois sculpté, bouts de frise en marbre), les matériaux grossiers mis à nu : béton armé, ciment, ferraille. Des morceaux de béton sont retenus comme de gros cailloux par les tiges distordues de l’armement. Ils marchent avec précaution sur la couche de gravats. La cabine éventrée d’un ascenseur est tombée de guingois au fond d’un cratère creusé par une explosion. Il plane un silence de mort qui les a fait taire. Il suffirait d’une légère secousse sismique ou bien, plus vraisemblablement, d’un tir de roquette près de là pour que leur tombent sur la tête ces masses en équilibre. Les tentures arrachées pendent çà et là sur les poutrelles, grands pans de tissu somptueux, comme les draperies d’un décor de théâtre accrochées là-haut dans les cintres. Au milieu de ce champ de ruines il y a un gros fauteuil large et doré comme un trône, défoncé, perdant sa bourre. Il a été placé là intentionnellement, sans doute pour s’y faire prendre en photo assis, les jambes croisées et le bras impérialement posé sur l’accoudoir de bois doré, beaucoup de ces jeunes soldats étrangers ne sont pas méchants, juste un peu niais, ils aiment les images, de nos jours on peut les envoyer dans le monde entier le temps d’un clic, quelques-uns n’ont pas résisté à l’envie d’envoyer à leur petite amie certaines photos qui les perdront, ils s’étaient si bien amusés pourtant, voilà qu’on ne peut plus plaisanter… De l’autre côté, à travers l’une des immenses fenêtres une énorme lanterne pend, à moitié arrachée, se balançant doucement dans la brise… Ils sont ressortis par un autre endroit pour passer sous cette lanterne dont elle a pris une photo. (La lanterne oblique sera au centre de l’image. Sur la partie droite on verra la coupole et le plafond ornés de frises, intacts. Sur la partie gauche on verra le mur démoli, poussé vers l’extérieur par le souffle de l’explosion comme par un coup de poing monstrueux qu’un géant fou furieux aurait donné contre le mur. Du contraste entre ces deux parties, l’une intacte et l’autre dévastée, de part et d’autre de cette grande lanterne qui pend, de travers, et qui doit bien faire trois mètres de haut, naîtra l’impression d’un monde déséquilibré, insolite et désormais peu fiable.)
Ils se sont arrêtés sur le seuil d’immenses salles que des ouvriers sont en train de déblayer. Que pensent-ils, ces hommes qui balaient tous ces gravats, ce verre brisé ? Même s’ils ont détesté le dictateur déchu, ce n’en est pas moins une humiliation que de voir anéanti par une armée étrangère, et si facilement, le pouvoir qui les a longtemps fait trembler.
Après quoi ils reprennent les voitures pour aller voir ces grands sabres de bronze croisés, tenus par des mains colossales, de bronze également, les Sabres du Triomphe qu’elle n’a jamais vus que de loin. Un homme monte dans l’un des bras qu’on peut « visiter ». Elle le voit passer la tête dans une ouverture ménagée entre la main et la poignée du sabre puis ressortir peu après, trempé de sueur (la montée se fait par une échelle dans un boyau très étroit où la chaleur est terrible). À chaque bras pend un grand filet de bronze, sorte de corne d’abondance remplie d’une moisson de casques – les casques des soldats ennemis. Cette cascade de casques descend jusqu’à terre, les derniers sont à demi enterrés, toute la largeur de la chaussée est traversée par ces casques de bronze pris dans le bitume. Cela lui rappelle les passages cloutés de jadis et aussi les damnés qu’un grand illustrateur a représentés prisonniers d’une banquise refermée sur eux pour l’éternité, seuls émergent de la surface glacée le haut de leur crâne et le regard vide de qui a laissé tout espoir en entrant ici, c’est à cela qu’elle pense en les regardant, comme s’il y avait encore sous la chaussée les cadavres de ceux qui ont porté ces casques qu’on a pris soin d’enterrer à demi pour que les défilés militaires leur passent dessus, pour qu’à chaque parade soient tués encore une fois ces soldats morts dont le char calciné achève de rouiller dans quelque désert de la région. Plus de défilés désormais pour ce dictateur-là, mais puisque le lieu a été conçu pour les parades on peut y voir maintenant les véhicules d’une autre armée, des Humvee disposés en formation savante, posant ce jour-là pour une affiche de propagande, pour le calendrier des armées ou pour tout ce qu’on voudra du même genre. Ils l’ont vue prendre une photo et un soldat est venu s’assurer qu’elle ne les avait pas pris, eux. Non, elle ne les avait pas pris, seulement les Sabres qui l’intéressaient bien plus (elle pouvait d’ailleurs lui raconter n’importe quoi, il n’avait aucun moyen de vérifier et il n’allait tout de même pas lui confisquer sa pellicule).
Pour s’éloigner un peu de tous ces véhicules guerriers ils sont passés sous l’arche des sabres croisés et ils ont roulé jusqu’à l’ancienne tribune du dictateur. C’est une grande tribune maintenant couverte de poussière, elle a été conçue pour des centaines de spectateurs et près de chaque siège se dresse un gros tuyau obscène : la climatisation. Un gardien est là, qui prête un fusil aux visiteurs qui le désirent pour qu’ils puissent se faire photographier à la place de l’ancien président, brandissant leur arme comme il le faisait lors des parades. Il devrait leur fournir aussi ce chapeau qui parachevait sa panoplie de bandit en ce qu’elle mêlait l’habit civil, chapeau et pardessus, et le moyen de la violence, l’arme, haut brandie comme pour une fantasia.
Ils ont suivi le gardien à l’intérieur. Dans l’entrée le visiteur est accueilli par quelques croûtes à la gloire du dictateur représentant, par exemple, le visage de son ennemi (le père) coincé dans une bottine, tous ces tableaux d’une facture maladroite et enfantine, ce qui prouve une fois de plus qu’aucun artiste digne de ce nom ne peut servir ce genre de thème. Puis le gardien les fait entrer dans les pièces vides, vastes, silencieuses, de l’appartement du dictateur déchu – l’un de ses appartements. Celle qui avait été sa chambre à coucher est baignée d’une lumière dorée qu’atténue la couche de poussière sur les vitres. Dehors on voit une aire bétonnée d’où ne décolle désormais aucun hélicoptère. Elle reste un long moment à observer les impacts de balle qui étoilent les vitres blindées et les cassures filant dans l’épaisseur du verre, brillantes, et qui font penser à la glace quand elle se brise sur les étangs gelés, les beaux matins d’hiver.
-
Enquête « La langue et le politique »
(réalisée auprès de quelques écrivains suisses de langue française)
Patrick Amstutz, L’Aire (2001)
Les mots sont-ils vos alliés ?
La pierre est-elle l’alliée du sculpteur ? Les mots sont notre matière, il arrive qu’ils résistent ou se cachent comme un marbre ou un calcaire longtemps recherchés, mais ce terme d’« alliés » (alliés/ennemis) appliqué aux mots, cela n’a pour moi pas grand sens. Les mots sont en nous, c’est de nous qu’ils dépendent, ils sont ce que nous en faisons. (Quand je dis « nous », je parle aussi bien de nous lecteur que de nous écrivain, lire et écrire étant deux aspects d’un même mouvement de l’esprit.)
Je ne les considère pas non plus comme des outils. Leur rôle me paraît plus complexe et plus noble. Ils sont à la fois le but et le moyen.
Dire : « orage », « misaine » ou « bergamote » peut procurer un certain plaisir. Il y a une beauté des mots en eux-mêmes, une beauté trouble, chargée d’échos d’autres textes, d’autres souvenirs (aucun mot n’est jamais tout à fait seul), mais le pouvoir d’un mot isolé est limité. L’important, c’est ce qui circule entre les mots, c’est le souffle de la phrase, c’est ce qui n’est pas dit, ce qui palpite en marge du texte et que le lecteur attentif reconnaît. C’est ce qu’il y a au-delà des mots qui touche au plus profond, cet indicible vers lequel ils tendent. Proust écrivait : « Il n’y a que l’inexprimable, que ce qu’on croyait ne pas réussir à faire entrer dans un livre qui y reset… Cet inexprimable-là, quand nous ne l’avons pas ressenti, nous nous flattons que notre œuvre vaudra celle de ceux qui l’ont ressenti, puisque en somme les mots sont les mêmes. Seulement ce n’est pas dans les mots, ce n’est pas exprimé, c’est tout mêlé entre les mots. » C’est pourquoi la richesse des mots se situe surtout dans l’aura qui flotte autour d’eux (et ceci est valable pour les mots les plus ordinaires en apparence, tels que « pluie », « arbre », « mer » ou « chemin » – et même « être » et « avoir »).
La beauté d’un mot tient encore à son efficacité, à sa force, à la charge d’électricité qu’il contient, c’est son adéquation au frémissement qui l’a fait naître, sa proximité maximale de ce qu’on a cherché à traduire grâce à lui. C’est sans doute ce qui fait la beauté des termes employés dans certains métiers : ces mots-là ont été patinés par un long usage et par le besoin d’être rapide, efficace et précis. Les termes de la marine, par exemple, sont de bons pourvoyeurs d’images (Flaubert a relevé chez Ronsard ce précepte selon lequel le poète devrait s’instruire dans les arts et les métiers pour y puiser des métaphores).
Enfin, pour en revenir à ce terme d’« alliés », quand je dis que cela n’a pour moi pas grand sens, je me place évidemment du point de vue de qui essaie de faire œuvre d’art avec des mots. Mais je sais bien que les mots sont aussi utilitaires et qu’ils ne circulent pas que dans la littérature. Dans d’autres domaines que celui de l’art (comme l’information, la publicité ou le discours des politiciens) ce rapport de force avec les mots peut exister en effet. Les mots peuvent s’y révéler trompeurs et être les alliés de ceux qui trompent, la mauvaise foi peut jouer sur eux.
Quel rôle joue l’écrivain face au langage ?
D’abord celui de l’ouvrir en grand, de le déployer, de l’aérer en quelque sorte, un peu comme on aère des couvertures ! Le vocabulaire s’étiole et se fige, les mots s’endorment autour de nous, ils se raréfient. L’écrivain tâche de nager à contre-courant en s’occupant des mots pour qu’on ne les oublie pas, pour qu’ils restent vivants et gardent leur saveur. Je ne pense pas forcément aux mots rares ou compliqués. Les mots ordinaires ont autant besoin, sinon plus, d’être ravivés dans le mouvement d’un texte. L’usage prosaïque en a fait des mots-mercenaires, l’écrivain doit essayer de leur rendre leur dimension poétique, de faire vibrer autour d’eux des harmonies qui s’étaient tues.
Le mot vit par ce qui l’entoure. C’est une pièce de mosaïque dont on peut aimer la couleur mais qui ne prend sa signification et sa beauté que dans l’ensemble plus vaste de la phrase – comme la phrase prend les siennes dans l’ensemble du livre. L’écrivain est le mosaïste qui ordonne ses abacules pour les mettre en valeur les uns par les autres.
Un autre de ses rôles consiste à être à l’écoute des mots et de leur consonance – car un mot, même isolé, charrie dans ses syllabes une foule d’autres mots qui peuvent lui être associés, il renferme tout un réseau de correspondances. L’oreille joue un grand rôle dans le choix des mots et il est remarquable que lorsqu’on parle d’eux on en arrive assez vite à parler de musique. (Citons Flaubert : « Comment se fait-il que le mot le plus juste soit toujours aussi le plus musical ? ». Ou Gracq, quand il écrit que « même dans la prose, il faut que le son sache tenir tête au sens. » Il faut faire silence et écouter de toutes ses forces pour chercher le son le plus juste, celui qui soit le plus proche de cette vibration parfois infime qu’on a cru entendre à la fois en soi et hors de soi.
On pourrait encore dire que l’écrivain est un traducteur qui sait qu’aucun mot ne correspond vraiment à un autre mais ne fait que s’en approcher plus ou moins, qu’aucun mot ne peut rendre exactement et totalement compte du son original, de la note intérieure qu’il voudrait faire entendre à qui le lira. (Et le problème se pose : faut-il se limiter à des mots peu nombreux et choisis après mûre réflexion comme nous paraissant les plus chargés d’échos, ou bien les multiplier sans cesse, les accumuler, les corriger l’un par l’autre pour créer autant d’approches ? l’aspiration est la même, le choix de l’un ou de l’autre est peut-être affaire de tempérament.)
Les mots sont aussi des guides : il faut savoir les suivre, les écouter, car il nous dictent la suite, comme le potier infléchit la forme qui naît sous ses doigts et lui obéit dans le même temps (ce qui faisait dire à Gombrowicz que l’homme se caractérise par son incapacité à créer la totalité). Je pense qu’écrire exige avant tout de garder les sens en alerte, d’être, face au langage, aussi bien actif que réceptif – et de savoir perdre son temps. Beaucoup de temps.
Peut-on rêver d’une langue comme d’un amant ?
C’est une question idiote. À la rigueur si par ce terme de langue on entend le fait d’écrire – la rame de papier neuve, le stylo-plume et le cliquetis de son clavier d’ordinateur – alors là, oui, il arrive qu’on se précipite à sa table de travail avec une désir, une hâte et une joie qui peuvent se comparer à l’amour. Peut-être ai-je mal compris votre question mais, à mon avis, prétendre qu’on puisse rêver d’une langue (de la sienne qui plus est) alors que nous y sommes plongés et qu’elle nous baigne à chaque instant – et en rêver comme d’un amant de surcroît ! –, c’est une ineptie. Est-ce que vous rêvez de l’air que vous respirez, vous ?
Possède-t-on une langue ou est-ce elle qui nous possède ?
Peut-on jamais se vanter de posséder quelque chose, à part peut-être certains objets achetés à prix d’argent ? Par « posséder » une langue vous entendez sans doute la maîtriser, ce qui peut se dire à la rigueur d’une langue étrangère dans laquelle, après des années d’apprentissage, on s’exprime sans faire de fautes : le chemin parcouru a été si long, si ardu, qu’on mérite bien cette récompense de s’entendre dire qu’on « maîtrise » la langue en question (notre qualité d’étranger aventuré dans un monde inconnu nous donne droit à un peu d’indulgence). Pour ce qui est de notre langue, celle qu’on a balbutiée petit enfant et dans laquelle plus tard on écrit des livres, il en va autrement. Cette langue-là, on ne la « possède » jamais, quand bien même on connaîtrait par cœur les neuf volumes du Grand Robert, parce que les mots qu’on emploie dans une œuvre littéraire valent par leur consonance, par leur contexte toujours mouvant, palpitant, par les zones troubles qui sont à leurs confins – et ça c’est infini et, Dieu merci, fermé à toute possession.
Et ce mot de « posséder », dans quelle acception l’utilisez-vous au juste ? Le sens change selon qu’on possède quelque chose ou quelqu’un, si bien qu’entre les deux termes de la question il me semble y avoir un glissement de sens. « Posséder » : être propriétaire de quelque chose ? Tromper, duper quelqu’un ? Ou s’emparer de son corps et de son esprit – comme le démon possède ? J’avoue rester perplexe et ne pas voir clairement comment répondre à cette question.
Peut-on habiter une langue comme on habite un pays ?
Je n’aime pas trop ce terme d’« habiter », je sens que j’éprouve une méfiance instinctive en le rencontrant dans ce contexte. Il me fait penser à l’escargot dans sa coquille, il m’évoque quelqu’un d’« installé », un sédentaire définitif, voire propriétaire de la place (un peu comme votre « posséder » de la question précédente). La langue est mouvement, les mots sont des migrants, ils circulent et nous parmi eux. Les langues se traduisent, s’apprennent, s’influencent. Confrontés avec leurs équivalents (toujours approximatifs) dans d’autres langues, les mots gagnent une nouvelle dimension. (J’ai lu récemment chez Olivier Rolin cette réflexion intéressante qu’il n’est pas indifférent de savoir comment se dit « nuage » dans plusieurs langues étrangères.)
L’écrivain me paraît être un voyageur, pas forcément dans la vie qu’il a choisi de mener, mais dans son attitude. Le regard qu’il a sur le monde l’en sépare, en fait un étranger même s’il n’a jamais physiquement quitté son village. La langue est à l’image d’un vaste monde qu’il sillonnerait à pied. « Habiter » évoque un lieu fermé ou du moins délimité. La langue, s’il faut la comparer à un endroit qu’on habite, est une demeure mal close, poreuse à tous les vents. Mais je dirais plutôt qu’elle est elle-même le vent (ou l’eau), que c’est quelque chose en mouvement, insaisissable et irrésistible, un courant dans le sens duquel on nage.
S’il y a attachement à une terre et/ou à une langue partagée avec d’autres, cela n’existe-t-il pas une participation à la vie de la cité ? Comment dès lors se concrétise votre engagement de citoyenne ?
En ce qui me concerne, il faut d’abord préciser que je suis expatriée depuis une vingtaine d’années. Je ne retrouve que pendant les vacances (donc de façon superficielle et fragmentaire) mon pays d’origine, la France, mon premier pays, celui où j’ai appris ma langue, fait mes classes, reçu la formation qui devait m’amener un jour, plus tard, à écrire. La Suisse est devenue mon second pays quand j’ai épousé un Bernois (il y aura bientôt vingt ans de cela) et plus encore peut-être depuis que j’y ai été publiée, ce qui est désormais pour moi un lien très fort. Mais je n’y ai fait que des séjours tronqués (à Berne) pendant lesquels je me suis sentie isolée (je ne reviens pas sur les difficultés qu’il y a à apprendre le dialecte, même pour quelqu’un qui a étudié par ailleurs des langues réputées difficiles comme l’arabe ou le russe). La gentillesse des gens n’est pas en cause, mais, que je le veuille ou non, j’y suis toujours une étrangère, ayant d’autres habitudes et parlant une autre langue (ce qui prive entre autres de pouvoir jouer sur les mots et d’en rire). Ce n’est pas ma cité – à vrai dire je n’ai plus de cité, si j’en ai jamais eu. J’ai vécu avec bonheur au Moyen-Orient, à Moscou et maintenant à Prague, et il n’est bien sûr pas question de participer en quoi que ce soit à la vie de la cité dans ces pays hôtes.
Ensuite, « exiger », comme vous y allez ! Faut-il que parce qu’on écrit – pas d’activité moins sociale que l’écriture – il faille donner son avis sout toute chose ? L’écriture, en ce qui me concerne, n’est qu’une manifestation d’un certain goût de la retraite et du silence. Participer ou non à la vie politique est affaire de tempérament et me semble tout à fait indépendant du fait d’écrire. Même si j’étais fixée pour longtemps dans une ville que je puisse considérer comme mienne, je ne crois pas que j’y participerais véritablement à la vie de la cité, je l’avoue. D’ailleurs je ne pense pas que la voix d’un auteur quasiment inconnu se fasse mieux entendre que celle de n’importe quel autre citoyen qui s’engage dans la vie publique. Qu’on n’y voie aucune marque d’indifférence de ma part. Le fait même d’écrire révèle une sensibilité au monde, qui se manifeste différemment chez tel auteur ou tel autre. Flaubert « détestait le journal » mais y a-t-il une protestation plus émouvante contre l’esclavage et pour les droits de l’enfance que le bref récit qu’il fait dans une lettre à sa mère de cette scène où on lave une petite esclave noire en la savonnant avec du sable comme on le ferait avec une bête ?
Tant de gens à travers le monde sont privés de liberté et d’éducation, tant d’autres sont éduqués mais ne peuvent écrire ni être publiés – tant de femmes en particulier – qu’à mon sens la première façon de s’engager est de lutter contre cet état de choses en utilisant la liberté d’écrire dont nous jouissons. Que ceux qui, comme moi, ont la chance et le privilège de pouvoir écrire et être publiés – d’avoir l’occasion de répondre à une enquête dans un journal, par exemple –, que ceux-là se mettent à leur table de travail (d’autres se mettront à leur piano ou à leur chevalet ou à leurs études), que tous ceux qui peuvent le faire le fassent, aussi honnêtement que possible, avec tout le sérieux et la rigueur dont ils sont capables (grands et petits, ou même encore jamais publiés) pour qu’il y ait toujours des livres qui s’écrivent, nonobstant les dictatures et les intégrismes de tout poil.
(Prague, le 10 avril 1998)
-
Sur l’écriture féminine
À quoi a-t-il donc servi que tant de femmes se soient battues et que tant d’autres se battent encore pour que les chances soient moins inégales si c’est pour entretenir avec complaisance la distinction d’une écriture un peu à part, qui serait « féminine » ? Au moment où, les obstacles enfin surmontés, on a réussi à se mettre en route, la plume en main, vers l’œuvre à écrire, doit-on revenir en arrière et se laisser enfermer par cette catégorie d’« écriture féminine » au lieu de s’avancer librement – ce pour quoi, justement, on s’était battue ? Laissons ces classifications homme/femme où elles doivent être, c’est-à-dire dans le domaine de la politique. Elles sont caduques, il me semble, quand on entre dans celui de l’Art et des activités de l’esprit en général. Qu’est-ce qui nous pousse à écrire sinon une certaine angoisse devant ce qui nous attend, sinon le refus de nous satisfaire de l’apparence des choses ? Et ces questions-là qu’on se pose ne sont-elles pas le lot de tous, en face d’elles ne sommes-nous pas tous également démunis ? Pour ma part, je préfère suivre le conseil que Flaubert donnait à Louise Colet (qu’il a aimée, je crois, en égale) : « Laisse donc là ton sexe et ta patrie, et c’est par ce détachement que l’immense sympathie des choses et des êtres nous arrivera plus abondante ».
(Réponse à la question posée par les Editions d’en Bas pour l’anthologie Solitude surpeuplée, en 1996 : « Que recouvre pour vous l’expression écriture féminine ? »)
-
Comment je n’ai jamais goûté à la « pacha »
Nouvelle parue dans Récits sur assiette, recueil collectif de textes d’auteurs romands sur la cuisine, réunis par Corinne Desarzens (Bernard Campiche Editeur, 2009)
Le charchafchi, c’est celui qui fait des charchaf (des draps). Le marmarchi, c’est le marbrier. Le kebabchi fait du kebab. Le kahwachi fait du café.
Bien. Je vois.
Mais alors, pachachi ? Que fait M. Pachachi, ou plutôt qu’a fait celui qui a donné son nom à la famille Pachachi ? Eh bien, la pacha, évidemment !
La pacha ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Un vêtement ? Une sorte de selle pour les chevaux ? Un onguent pour soigner les piqûres de guêpe ?
Ça se mange.
Je me renseigne.
Farah se renverse en arrière et se met à rire. La pacha ? Vous ne voulez pas manger de la pacha, tout de même ?
Heu… si… Pourquoi, ce n’est pas bon ?
Si, si, c’est délicieux ! Quand j’étais jeune j’adorais ça, on en mangeait toujours en été chez ma grand-mère, mais depuis que j’ai vu comment ça se prépare… Ah non, plus jamais, si vous saviez, ça vous couperait tout de suite l’envie d’en manger. Vous reprendrez bien des feuilles de vigne ?
Mais Farah est très distinguée et possède une galerie d’art. Il me vient à l’idée qu’il est peut-être vulgaire d’aimer la pacha, que c’est peut-être un plat trop populaire, un de ces plats qu’on mange dans les gargotes où ne vont que les hommes, des rustres qui s’essuient la bouche du revers de la main en regardant passer les femmes, ou ce qu’on en voit ici, leur menton dégoulinant de graisse, l’or d’une canine luisant au coin de leur sourire de brute ?
Mais d’autre part si la grand-mère de Farah elle-même…
Quand j’ai demandé à Kamal où on pouvait manger de la pacha à Bagdad il s’est mis à rire. C’est une manie. Est-ce qu’il y aurait un autre sens, obscène, que dans ma candeur d’étrangère j’ignorerais ? On dit souvent qu’en arabe classique la plupart des mots ont trois sens : le premier, le deuxième qui est le contraire du premier, et le troisième qui, pardonnez-moi, est proche de « trou du cul ».
Insistons.
Il essaie de me faire comprendre que c’est lourd, lourd, à peine supportable, tout ce gras de bœuf. C’est bien pour cela que la pacha est un plat d’hiver.
Ah bon ?
Non, sérieusement, il me déconseille d’essayer. (Kamal est un homme charmant mais autoritaire.)
Farid se gratte la tête. Il ne connaît pas beaucoup d’endroits à Bagdad où l’on puisse manger de la pacha. C’est tout de même compliqué à préparer ce genre de plat. En tout cas dans sa famille on n’en fait plus. Ce n’est pas que ce soit si long à cuire, non, mais c’est la préparation, vous savez : il faut éplucher soigneusement la langue et la cervelle – et surtout bien battre la langue. Il faut aussi faire attention à ne pas laisser de poils parce que les poils qui surnagent (dans le bouillon où cuisent les pattes), ce n’est guère appétissant, vous en conviendrez. Coudre la panse est aussi une affaire délicate. Et puis tout ce travail, les femmes ne sont plus prêtes à passer autant de temps pour faire la pacha, surtout en ce moment, on a d’autres soucis, l’électricité qui manque, pas d’eau au robinet, alors faire de la pacha… Et puis, franchement, vous seriez déçue : cela n’a rien d’extraordinaire, la pacha.
Je m’entête.
Il se renseignera.
La semaine suivante il me parle d’un restaurant où, paraît-il, on peut manger une pacha préparée comme il convient. J’ai pris soin d’oublier les poils flottant à la surface d’un bouillon souillé d’écume grise. J’imagine quelque chose qui tiendrait de l’andouillette, du papet vaudois et des tripoux d’Auvergne, je vois la peau tendue d’une saucisse que crève la fourchette : suinte un jus gras, odorant, consolateur. C’est qu’il me vient ici des nostalgies de cochonnailles. On ne se rend pas compte à quel point il est parfois dur d’être expatrié.
Mais, ce quartier-là, vous n’y pensez pas ! Impossible ! Trop dangereux ! Pas question !
Évidemment, j’aurais dû m’en douter, c’est toujours la même chose…
Alors Samir (quinze ans) me dit Moi ma tante fait la pacha, la mère de mon cousin Bassam, je peux vous emmener chez elle, elle vous expliquera, elle en fera pas une pour vous parce que ça prend un temps fou à préparer, faudrait que vous dormiez chez elle, d’ailleurs vous seriez la bienvenue, elle serait contente ma tante…
Non, Samir, c’est très aimable, mais je…
Bon, bon, alors juste pour un café et elle vous expliquera comment elle fait la pacha.
Mais lui-même, en a-t-il déjà mangé ?
Oui, bien sûr.
Et c’est si lourd que ça ?
Lourd ? Non ? pourquoi lourd ? Qui est-ce qui vous a dit ça ? C’est du mouton, c’est pas lourd ! Vendredi prochain on ira chez ma tante.
Le vendredi s’est passé sans nouvelles de Samir. Quand je l’ai revu, à quelque temps de là, il n’avait pas l’air gai. La famille de son cousin Bassam était partie : ils avaient chargé la voiture, payé les gardes pour trois mois et pris la route d’Amman, un matin, très tôt et sans prévenir personne. Comme des voleurs. Les parents de Samir se demandaient s’ils ne devraient en faire autant. Toutes ces menaces de mort, d’enlèvements…
Dans leur quartier plusieurs maisons ont déjà été désertées par leurs occupants. Des gardes s’y sont installés. Ils ont tiré sur le trottoir des chaises de bureau, de vieux canapés couverts de tissus à fleurs, des fauteuils à dorures, et ils restent assis là, leur kalachnikov sur les genoux, à bavarder jusque tard le soir avec les gardes des maisons voisines.
Je commence à penser que je ne saurai jamais ce qu’est au juste la pacha. Est-ce que cela fait partie de ces choses pour lesquelles on arrive toujours trop tard ? Ou bien faut-il y voir une conséquence infinitésimale et dérisoire des grands bouleversements que connaît ce pays ?Bagdad, août 2004
-
Deux textes écrits pour la Dictée de la francophonie à Damas (2010 et 2011)
« Les bourlingueurs ne se sont pas tous plu à relater leurs aventures. Beaucoup se sont succédé sans faire à quiconque le legs de leurs souvenirs, ne laissant, dans une vieille malle à soufflets doublée de velours incarnadin, que des cotonnades ocre, jonquille ou fauves qu’ils ont rapportées d’Afrique et des batiks indigo, souvenir de Java. Un daguerréotype les montre debout près du mât de misaine, scrutant l’horizon tandis que l’alizé austral caresse leurs cheveux aile de corbeau. Leurs héritiers trouveront encore des fac-similés de vieux portulans et peut-être, demeurée dans les poils d’une peau de chèvre mitée, une graine pourpre qui ne germera pas.
D’autres ne se sont embarqués que parce qu’ils s’étaient laissé séduire par les mots rauques et empanachés de « perroquet » ou de « cacatois ». À la différence de ceux-là, ceux-ci, insoucieux de la susurration des moustiques autour de la lampe-tempête, noircissent avec une minutie de maniaque de petits carnets de moleskine, s’interrompant de temps à autre pour regarder les étoiles et rêver aux syzygies, aux tempêtes d’équinoxe et au livre qu’ils écriront un jour. (Fin de la dictée des juniors)
Deux ou trois décennies plus tard, après avoir exhumé leurs vieux carnets, jusque-là jalousement gardés au fond d’un de ces bonheurs-du-jour acquis jadis dans un souk du Levant, ils vont faire leurs emplettes dans le grand marché du vocabulaire, explorant les éventaires les plus retirés, car c’est parfois parmi les vocables désuets et mis au rancart qu’on trouve les mots adéquats : ceux qui sonnent juste, brillants comme des quartz et polis comme des galets. Ils en remplissent leur havresac et deux gros cabas et, de retour à la maison, ils se mettent à l’établi.
Ces jours bénis où l’on est tour à tour menuisier, joailler ou tisserand, quelque décourageant qu’ils puissent parfois paraître et quelles que soient les embûches qui les jalonnent, offrent ici-bas l’empyrée tant espéré. Sorte de colin-maillard joyeux qui amène quelques instants de félicité absolue, où l’on se dit en ronronnant : je fais exactement ce pour quoi j’étais fait. »
(D’après Nicolas Bouvier, « Petite morale portative ». Dans : L’information immobilière, automne 1996, no 61 – texte repris dans : Bleu immortel. Voyages en Afghanistan)
« Le départ de la grande course annuelle fut donné sous un soleil radieux. Le parcours n’offrait de prime abord aucune difficulté, et d’aucuns s’étaient laissé tromper par l’apparence anodine de l’épreuve.
Jeunes et moins jeunes, en knickerbockers, godillots de marche et chaussettes garance, s’engagèrent avec entrain dans le sentier qui s’élevait entre les rhododendrons. Ils marchaient sans mot dire, chacun savourant dans son tréfonds les heureuses prémices de cette journée exceptionnelle.
À l’endroit où les conifères font place aux graminées, les plus jeunes firent demi-tour, cueillant à l’envi gentianes, ancolies et renoncules, et comptant les ocelles aux ailes des papillons. (Fin de la dictée des juniors)
Les vétérans poursuivirent l’ascension.
Sous l’égide éclairée d’un vieux guide, personnage haut en couleur au visage boucané par l’air des cimes, ils se sont plu à longer des névés immaculés, passant à leur insu près des gemmes tapies dans l’obscurité immémoriale de la roche : quartz, béryls, agates et améthystes.
Les cailloux d’un pierrier raide et austère crissaient sous leurs souliers ferrés. Le soleil avait disparu. Un couple de gypaètes barbus tournoyait contre une paroi abrupte propre à dissuader les amateurs de varappe les plus aguerris.
On entendit comme un grondement sourd : cela venait du glacier qui depuis des siècles charrie tout ensemble dans son avancée inéluctable les roches fracassées et l’effroi des mortels. Puis un brouillard inopiné descendit sur eux comme un traquenard que leur aurait tendu la montagne. Mû par la frayeur, l’un des randonneurs fit volte-face, déclarant sans ambages qu’il n’irait pas plus loin. Il fut bientôt rejoint par d’autres qui, pour échapper plus vite à ce cauchemar, s’étaient laissés glisser sur le derrière.
Cette année-là encore, les plus combatifs s’étaient approchés du sommet sans atteindre toutefois son éclat immarcescible que les nuages dérobaient à la vue comme une inaccessible perfection. »
(2011)